Pourquoi nos cellules s’orientent-elles vers le cancer ? En conférence, de nombreuses personnes me demandent comment on peut déglinguer le fonctionnement de nos cellules : « Comment les cellules de tel ou tel de mes organes se transforment-elles en cellules cancéreuses ? » Commençons par le commencement Depuis le premier jour de notre vie, comme œuf humain – union d’un ovule de notre mère et d’un seul spermatozoïde, sur plusieurs centaines de millions donnés par notre père – notre corps est en croissance. Pas plus grand qu’un grain de sable le premier jour de notre vie, notre nom est pour tous les humains le même. Il n’est pas très charmant : nous sommes « zygote », mot qui vient du grec ancien ζυγωτός, zugōtos qui veut dire « attelé » à la vie, et de ζυγός, zugos qui veut dire « joug, joint à la vie ». Pourtant nous sommes tous différents, uniques. Chaque zygote donnera donc un enfant puis un adulte différent. Tous mes caractères génétiques sont présents dans mon zygote ! Nous résidons pour la semaine dans l’une des trompes de notre mère, nous nous implantons dans l’utérus dès la fin de la première semaine. Nous mesurons 2 à 3 centimètres dès le 2e mois et, à 9 mois, 50 centimètres avant de sortir de l’utérus maternel. Nous pesons alors entre 2,5 et 4 kilogrammes. Nous sommes faits pour vivre centenaires et probablement plus. Evidemment, nous souhaitons garder notre tête et nos pieds dans les bottes : vieux, mais pas trop handicapés. C’est possible si nous mangeons correctement et avons une activité physique soutenue. Notre corps d’adulte : 1014, soit cent mille milliards de cellules, issues d’une seule cellule. Quel prodige ! Dès les premiers jours de notre vie comme « œuf humain », chaque cellule peut générer toutes les cellules du futur organisme adulte. C’est dire le potentiel présent dans chaque cellule dite « souche ». On dit que ces cellules sont « pluripotentes » ou « polyvalentes ». Même dans un corps adulte, nos cellules se renouvellent à des rythmes différents selon l’âge, les organes et les tissus. On considère que chaque seconde qui passe, environ 2 000 cellules adultes ont fini leur vie naturellement, soit plusieurs milliards chaque jour. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les durées de vie des cellules varient selon le tissu auquel elles appartiennent. Les cellules que nous voyons se renouveler En plus de la croissance de nos enfants qui poussent d’un coup à la puberté, nous voyons bien nos cheveux, comme nos ongles, qui se renouvellent sans cesse. Notre peau change de couleur au soleil ou si nous arrêtons de fumer [1]. Nous le vérifions d’une semaine, d’un mois à l’autre. Nous ne voyons pas les autres cellules de notre organisme. Pourtant, elles sont en permanent renouvellement. Elles ont des durées de vie très différentes. La mort naturelle de la cellule s’appelle l’« apoptose » Ce mot « apoptose » ne signifie pas suicide de la cellule, comme le disent trop souvent certains collègues. En effet, la cellule apoptotique a terminé sa vie naturellement. La cellule normale a donc une durée de vie précise en fonction de son origine et du tissu vivant auquel elle appartient. Une cellule qui reçoit un message négatif dans son noyau n’a pas son « apoptose », elle continue à se multiplier, et ainsi devient cancéreuse. Si la cellule subit une modification dans l’ADN de son noyau, c’est une mutation. Elle peut alors devenir cancéreuse ou changer de fonction (nous l’avons vu avec l’hémochromatose et la mutation sur le chromosome 6 qui empêche un gène de fabriquer une hormone particulière régulatrice du métabolisme du fer). Sa multiplication anormale est à l’origine de la formation d’une tumeur cancéreuse. Il faut que les cellules cancéreuses soient suffisamment nombreuses et présentes au même endroit du corps pour constituer une tumeur, visible à l’œil nu quand elle est présente sur la peau ou sous la peau, ou détectable avec des examens spécialisés : radiographie, échographie, scanner, IRM… Quand elle est cancéreuse, la cellule se multiplie anormalement, sa durée de vie se prolonge et elle peut aller se greffer ailleurs Elle se comporte comme une cellule classique, mais elle ne meurt plus ou retarde le moment de sa fin naturelle. Elle peut alors se multiplier presque à l’infini, tant qu’elle n’a pas tué l’hôte dans lequel elle se développe. Plus l’espace de développement est petit et la zone importante pour la vie de la personne – le cerveau par exemple –, plus vite la vie sera en danger. Une petite tumeur cérébrale mal placée peut arrêter la vie rapidement, tandis qu’une cellule qui se développe dans le ventre – provenant par exemple d’un cancer des ovaires – ne donnera des signes que tardivement car elle ne gêne pas le fonctionnement des organes voisins. Une ou plusieurs cellules cancéreuses sont capables de migrer et de s’ancrer dans un autre environnement que celui où elle sont nées. Se multipliant alors, elles fabriquent les métastases. C’est possible dans n’importe quel tissu ou organe : le foie, les poumons, les os, le cerveau, la peau, les ganglions… La chimio apporte à l’organisme des drogues destinées à stopper la vie de toute cellule en cours de multiplication. C’est ainsi que les cheveux tombent tout autant que les taux de globules blancs et les papilles de la langue, de l’odorat ou les cellules de l’intestin… La chimiothérapie ne cible donc pas que les cellules cancéreuses, elle atteint aussi des cellules non cancéreuses qui se renouvellent : les ongles, les cellules des papilles de la langue, de l’odorat… Un cancer du sein met 3 à 7 ans pour parvenir à un diamètre de 3 mm. Il ne fait pas suite à un choc psychologique des 3 derniers mois ! Professeur Henri Joyeux |